Paris, afflux tendu – Libération

15 Giugno 2016 0 Di macwalt

Boulevard du Montparnasse, en début d’après-midi mardi. A l’issue de la journée, 58 personnes avaient été interpellées par la police et la préfecture dénombrait 40 blessés. Photo Albert Facelly pour «Libération»

liberation.fr – Paris, afflux tendu. Le défilé parisien de mardi a été le plus massif depuis le début du mouvement contre la loi travail. Et le plus violent. Par Luc Peillon et Sylvain Mouillard  

Un cortège asphyxié par les gaz lacrymogènes tout au long d’un parcours de cinq kilomètres, des détonations continues, des dizaines de blessés, tant du côté des forces de l’ordre que des manifestants : le défilé contre le projet de loi travail, qui a rassemblé 80 000 personnes mardi dans la capitale, selon la police, a été le plus massif mais aussi le plus violent depuis le début de la mobilisation, il y a trois mois.

Le préfet de police de Paris, Michel Cadot, ne s’était pas trompé, lundi, en jugeant le niveau de risque «indéniablement élevé».

Outre l’interdiction de manifester pour 130 personnes, il annonçait de nouvelles techniques de maintien de l’ordre, dans le cadre desquelles ses hommes tenteraient de «faire preuve d’initiative et de rapidité face aux casseurs». Dès les premiers hectomètres du parcours, le décor est posé.

A chaque carrefour, chaque rue, un cordon de CRS ou de gendarmes mobiles empêche entrées comme sorties. Fait inédit, des barrières anti-émeutes ont été déployées.

Rapidement, des détonations se font entendre. Les premières échauffourées se déroulent devant la station de RER Port-Royal, au niveau du cortège autonome, situé en tête de défilé.

Tout de noir vêtus, les manifestants les plus radicaux harcèlent les forces de l’ordre. Leurs projectiles ? Des bouteilles de bière et des pierres. En face, on réplique à coups de gaz lacrymogènes et de grenades assourdissantes. Le défilé est bloqué de longues minutes.

Mais les manifestants, masque sur la bouche et lunettes de plongée sur les yeux, ne reculent pas. Loin de se désolidariser des «casseurs», comme les y avait invités le préfet de police de la capitale, ils font bloc.

Une fanfare entame Bella Ciao dans une nuée de lacrymos, tandis que les équipes médicales prodiguent les premiers soins aux blessés, pour l’instant légers : yeux rougis, contusions…

Les slogans sont classiques : «Anti, anti, anticapitaliste!», «Paris, debout, soulève toi !» D’autres sont revisités : «La police déteste tout le monde», au lieu de «Tout le monde déteste la police». Ou encore : «Si t’es fier d’être CRS tape ton collègue!»

Mouvement de panique

Les dizaines de manifestants violents laissent derrière eux une succession de vitrines dévastées : banques, agences de voyages ou d’assurances, bureaux de poste… Certains commerces, eux, ont pris leurs dispositions, comme cette concession automobile qui a placé sur sa devanture de grandes plaques de bois. Celle-ci n’échappe pas, en revanche, aux tags : «Les enragés ouvrent le bal», «Crève le capital».

La foule n’est repartie que depuis quelques minutes quand la situation se crispe à nouveau, cette fois au niveau du métro Vavin, à l’angle du boulevard Raspail et du boulevard Montparnasse. Après un mouvement de panique, un cordon de sécurité se forme au milieu du carrefour.

Au centre, deux hommes gisent à terre. Très vite, les pompiers arrivent sur place, bientôt suivis par un véhicule du Samu.

Aurélien, secouriste, raconte la scène : «La police a chargé le cortège de biais, puis a tiré des grenades, dont une s’est coincée en haut du dos du manifestant, entre son sac et son corps.»

Le blessé, allongé sur le ventre, est vite pris en charge par les pompiers, qui exercent un point de compression sur la plaie. Tout autour, les gens viennent aux renseignements.

D’autres, plus remontés, durcissent le message à l’égard de la police : «Flics, porcs, assassins !», «Rémi [Fraisse, ndlr], on n’oublie pas !», «Urgence, notre police assassine !» Le blessé, évacué au bout de quelques minutes, était toujours, en fin de journée, dans un état grave. Posé à quelques mètres de là, David, ouvrier à l’arsenal de Cherbourg, ne s’arrête pas de crier : «C’est une honte ! Jamais le peuple français n’a été attaqué ainsi, jamais je ne revoterai à gauche.

Les policiers tirent directement dans la foule.» Gérald, salarié d’Orange, ne comprend pas la stratégie des forces de l’ordre, qui «bloquent le défilé partout».

Trois jeunes filles, masquées et encapuchées, avouent aussi leur surprise. «Etre nassés tout au long du cortège, on n’avait pas encore vu.» Elles sont néanmoins satisfaites de voir la tête de la manif si «bigarrée» : «Il y a des jeunes, des vieux, des syndiqués. Ça fait plaisir.»

Quelques instants plus tard, une vitrine bancaire cède sous les coups de marteau d’une personne cagoulée. Applaudissements de la foule. Bien plus fourni qu’à l’accoutumée, le défilé autonome a cette fois drainé de nombreux curieux venus en bus de province.

Thierry, salarié d’une papeterie à Avignon, et syndiqué à la CGT, voulait «voir à quoi ça ressemble». Il se tient en arrière, mais ses yeux embués ne trompent pas. Les lacrymogènes touchent tout le monde.

L’agressivité des «casseurs», il la comprend : «Les jeunes n’ont pas de boulot, c’est normal qu’ils se défoulent un peu.» Laurent, employé chez William Saurin et encarté à FO, dit «ne pas être pour les violences», mais juge les dérapages inévitables.

«Les flics chargent gratos. Sur cent mètres, on a vu cinq ou six blessés, des gens touchés au visage, dans les jambes. La haine appelle la haine.»

Canon à eau

Les heurts les plus violents surviennent aux abords du métro Duroc et de l’hôpital Necker. Un cordon de CRS est pris à partie par la foule. Des deux côtés, ça canarde. Des hommes en noir s’attaquent à la chaussée et finissent par en détacher des plaques entières de bitume, qui leur serviront de projectiles.

Bilan : au moins 15 baies vitrées explosées. En début de soirée, l’assistance publique des hôpitaux de Paris annonçait sa volonté de porter plainte. Il est seize heures quand la police décide de couper à nouveau le cortège en deux, et de faire intervenir le canon à eau, une méthode très rarement utilisée dans la capitale.

Le véhicule, escorté par les forces de l’ordre, arrose copieusement les manifestants, avant de se placer au milieu du défilé, qu’il accompagnera jusqu’à l’esplanade des Invalides en aspergeant les personnes placées devant lui.

A plusieurs reprises, les forces de l’ordre se retournent et s’en prennent au reste de la manifestation qui, derrière ses bannières syndicales, s’impatiente. Dans le ciel, l’hélicoptère de la préfecture de police tournoie non-stop. «C’est n’importe quoi, ce dispositif, s’énerve un homme. Ils bloquent le cortège en nous empêchant de rejoindre le début de la manif, et du coup, ils excitent inutilement les gens.» Alison peste tout autant.

La jeune fille, qui souhaitait rejoindre le défilé du côté de la gare Montparnasse, s’est retrouvée bloquée par les cordons policiers, «comme des centaines de personnes». «On a dû aller jusqu’aux Invalides puis remonter le parcours en sens inverse pour retrouver les gens. On a l’impression qu’on veut nous empêcher d’exercer notre droit.»

Vers 18 heures, la préfecture de police annonce 58 interpellations et dénombre 29 policiers et 11 manifestants blessés. Outre la personne gravement atteinte en haut du dos, Thomas, secouriste, dit avoir soigné un jeune touché au front par un tir tendu de grenade lacrymogène, tandis que ses collègues évoquent des manifestants touchés au crâne et un blessé sérieusement atteint au doigt par une grenade à Montparnasse.

En fin de journée, l’arrivée sur l’esplanade des Invalides ne calme pas les ardeurs des plus déterminés, qui continuent les jets de projectiles. Réplique des forces de l’ordre à coups de lacrymos et même de flash-balls en direction d’une foule pourtant dense. Une stratégie qui finit par payer : vers 19 heures, les lieux sont évacués…

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Sorgente: Paris, afflux tendu – Libération