Europe: la crise des migrants, une vraie crise politique – Libération

25 Giugno 2018 0 Di luna_rossa

Seize chefs d’État et de gouvernement de l’Union, dont ceux de l’Allemagne, de la France, de l’Italie et de l’Espagne, se sont retrouvés dimanche après-midi à Bruxelles, pour tenter de déminer le Conseil européen de jeudi et de vendredi.

Seize chefs d’État et de gouvernement de l’Union, dont ceux de l’Allemagne, de la France, de l’Italie et de l’Espagne, se sont retrouvés dimanche après-midi à Bruxelles, à l’invitation de la Commission, pour tenter de régler une «crise des migrants» qui… n’existe pas. Dès son arrivée, Emmanuel Macron l’a reconnu: la situation aux frontières de l’Union n’a plus rien à voir avec celle du pic de 2015, car les Etats ont «réussi, par un travail conjoint, à réduire fortement les flux».

En réalité, l’Europe traverse «une crise politique» a martelé le chef de l’État français, des pays gagnés par la «lèpre» nationaliste, selon les mots qu’il a employés, jeudi à Quimper, saisissant le prétexte des migrants pour s’attaquer au projet européen lui-même : «Le défi qui est le nôtre, c’est le défi qui est lié à la pression politique dans certains États membres», a-t-il insisté dimanche à Bruxelles. «Certains essaient d’instrumentaliser la situation de l’Europe pour créer une tension politique et jouer avec les peurs». D’où ce mini-sommet improvisé avec les Etats intéressés pour tenter de déminer le Conseil européen de jeudi et de vendredi afin qu’il puisse se concentrer sur l’essentiel, l’approfondissement de la zone euro. Opération réussie, selon le chef de l’Etat, même si cette réunion n’a accouché d’aucun texte écrit : «la discussion d’aujourd’hui a permis de réaffirmer nos valeurs» en particulier «la lutte contre les extrêmes». Reste que si l’Italie et l’Autriche avaient fait le déplacement, le groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, les durs parmi les durs), est resté à la maison pour marquer son refus de toute solution européenne.

Brutale montée des tensions

La crise a éclaté le 10 juin lorsque le ministre de l’Intérieur italien de la Ligue (extrême droite), Matteo Salvini, a décidé de fermer les ports de son pays aux migrants sauvés en mer par les ONG. Son collègue allemand, Horst Seehofer, membre de la CSU, la branche bavaroise de la CDU qui se sent menacée par l’extrême droite de l’AfD avant les élections régionales de l’automne, a annoncé dans la foulée qu’il n’hésiterait pas à faire tomber la chancelière allemande, Angela Merkel, si elle ne durcissait pas sa politique migratoire, notamment en refoulant les migrants entrés via un autre pays de l’Union (ce que l’on appelle les «mouvements secondaires»). Enfin, le chancelier autrichien, le conservateur Sebastian Kurz, qui a remis les clefs du ministère de l’Intérieur aux néo-nazis du FPÖ, a proclamé, pour couronner le tout, la naissance d’un «axe des pays de bonne volonté» contre l’immigration, «axe» constitué, un hasard sans doute, de l’Allemagne, de l’Autriche et de l’Italie…

C’est peu dire que cette brutale montée des tensions a surpris. Certes, on savait que le fonds de commerce de la Ligue ou du FPÖ était la xénophobie, et qu’ils saisiraient la première occasion pour montrer leurs muscles, mais personne ne s’attendait à ce que la CSU menace de faire tomber Angela Merkel, ce qui met bien plus en péril la stabilité de l’Union que les moulinets de Salvini. Pourquoi une telle surprise ? Tout simplement parce que la politique d’endiguement mise en œuvre par l’Union a parfaitement fonctionné après le pic de 2015 et l’arrivée de plus de 1,26 million de réfugiés syriens, irakiens, afghans, mais aussi de migrants économiques via la Grèce et la route des Balkans. Selon les chiffres que la Commission a transmis aux Etats, au premier semestre 2018, on compte seulement 50000 entrées illégales dans l’Union, soit, par exemple une chute de 77 % des arrivées en Italie par rapport à 2017. En clair, dans un espace de 500 millions de personnes, cela signifie que le robinet est fermé. «Les solutions européennes ont été efficaces», a martelé Emmanuel Macron à l’issue du mini-sommet.

Accords et barrières

Pour y parvenir, l’Union a d’abord conclu un accord avec la Turquie en mars 2016 qui, en échange d’une aide financière de 3 milliards d’euros par an (dont seule une partie a été versée), s’est engagé à fixer sur son sol les réfugiés qui s’y trouvent déjà en grand nombre, et à reprendre ceux qui réussiraient malgré tout à passer en Grèce, la Turquie gagnant au passage ses galons de «pays tiers sûr». La route des Balkans s’est immédiatement tarie : les arrivées ont diminué de 97% par rapport à 2015. Des accords du même type ont été signés avec la Libye, le Niger et d’autres pays d’Afrique subsaharienne qui reçoivent en échange de leur coopération une aide financière. Là aussi, le résultat a été spectaculaire depuis l’année dernière, l’Aquarius n’étant qu’un épiphénomène : les entrées ont chuté de 77 %.

A ces accords, se sont ajoutés la construction de barrières physiques en Europe, notamment entre la Hongrie, la Serbie et la Croatie (prolongation prévue à la frontière roumaine) ou encore entre la Macédoine du Nord et la Grèce, afin de couper la route des Balkans, et des contrôles renforcés aux frontières intérieures de l’espace Schengen (en particulier à Vintimille entre la France et l’Italie). L’Union a aussi créé un corps de gardes-frontières et de gardes-côtes européens (1300 personnes plus une réserve de 1500 qui iront appuyer les pays confrontés à des arrivées importantes), une proposition qui était en panne depuis trente ans : la Commission a proposé de faire passer leur nombre à 10000 plus une réserve de 1500 à partir de 2021.

Autant dire que, sur l’essentiel, les 28 Etats membres sont d’accord : il n’est pas question d’ouvrir ou de rouvrir les frontières de l’Union à l’immigration. De ce point de vue, la Commission et le Parlement européen qui demandent depuis vingt ans que des canaux légaux d’entrées soient ouverts, l’Europe étant un continent de basse pression démographique qui aura besoin dans les années à venir de travailleurs, n’ont aucune chance d’être entendus. De ce point de vue, Viktor Orban, le Premier ministre hongrois qui revendique sa xénophobie, peut triompher, lui qui a été critiqué pour sa politique brutale en 2015…

Glacis

La seule question qui, en réalité, est en discussion est celle du droit d’asile. Or, il est lui aussi devenu largement théorique puisque l’Union s’est entourée d’un glacis de pays tiers qui empêche les demandeurs d’asile de venir déposer leur demande, sauf s’ils risquent leur vie pour parvenir sur le vieux continent. Pour couper ce dernier lien, Angela Merkel et Emmanuel Macron ont envisagé, mardi dernier, de créer des «centres» en Afrique du Nord sous contrôle de l’ONU, afin de trier sur place entre ceux qui pourront faire leur demande d’asile et les autres. Ainsi, tous ceux qui arriveraient sur les côtes européennes seront automatiquement considérés comme des migrants économiques et renvoyés.

Le chef de l’Etat français semble, depuis, avoir affiné sa position, car empêcher un étranger de déposer une demande d’asile en France est tout simplement inconstitutionnel comme il l’a reconnu. D’où sa proposition de déplacer ces centres de tri en Espagne, mais surtout en Italie, comme ils existent déjà en Grèce sous le doux nom de «Hotspot», le tout financé par l’Union. Mais Rome, et ce n’est pas nouveau, ne veut pas en entendre parler, car l’Italie sait qu’elle se retrouverait avec des camps permanents sur son territoire (Macron a évoqué des «centres fermés») où seraient coincés ceux dont la demande d’asile n’a pas été jugée recevable, mais que l’Union n’arriverait pas à renvoyer dans leur pays faute souvent de connaître leur nationalité ou du refus de leur État de les reprendre. «Si l’arrogance française pense transformer l’Italie en camps de réfugiés pour toute l’Europe, peut-être en versant quelques euros de pourboire, elle se fourvoie complètement» a immédiatement réagi Salvini.

L’autre point de crispation est celui de la répartition du «fardeau» des demandeurs d’asile afin d’éviter les «mouvements secondaires» qui crispent tant l’Allemagne : elle voit, en effet, arriver chez elle tous ceux que l’Italie laisse partir et qui espèrent obtenir plus facilement le statut de réfugié chez elle. L’idée est donc de les répartir d’autorité. Mais voilà : le plan de relocalisation adoptée par l’Union en 2016 (pour une durée de deux ans) de quelque 160.000 demandeurs d’asile se trouvant en Grèce et en Italie est un échec, seul 35 % ayant été effectivement accueillis dans un pays tiers, la Grande-Bretagne et les pays de Visegrad n’en ayant accueilli aucun… En clair, s’il y a une communauté d’intérêts entre l’Allemagne et l’Italie sur le partage du fardeau, seul moyen d’éviter que les demandeurs d’asile errent d’un pays à l’autre, il n’y en a aucune entre les nationalistes italiens et leurs partenaires autrichien, polonais, hongrois, tchèque ou slovaque qui refusent d’accueillir des étrangers chez eux.

Blocages

C’est pour cela que la réforme du règlement de Dublin IV sur le pays responsable du traitement d’une demande d’asile n’a aucune chance de voir le jour : la Commission propose en effet que le pays de première entrée reste responsable, sauf en cas d’afflux brutal qui entraînerait une relocalisation obligatoire, un pays ne pouvant s’y soustraire qu’en payant une amende. Et on imagine mal les pays d’Europe de l’Est plier devant la menace de Macron d’une diminution des fonds structurels (aides régionales) pour ceux qui refuseraient cette solidarité migratoire. Devant cet échec annoncé, le ministre allemand de l’Intérieur veut refouler, comme il en a le droit pendant douze mois, les étrangers vers le pays de première entrée, c’est-à-dire en pratique l’Italie, ce dont cette dernière ne veut pas entendre parler. C’est pour contourner ce blocage que Macron évoque la possibilité de conclure des accords bilatéraux ou multilatéraux entre les Etats afin de se répartir le «fardeau», ce qui éviterait que l’Allemagne ferme ses frontières.

Bref, on n’assiste pas à une bataille entre une Europe ouverte et une Europe fermée, contrairement à ce que voudrait faire croire la France, mais à un affrontement entre égoïsmes nationaux. Ce n’est pas glorieux.

Jean Quatremer BRUXELLES (UE), de notre correspondant

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