Benoît Hamon : l’affaire Benalla est «un mensonge d’Etat en bande organisée»

23 Luglio 2018 0 Di luna_rossa

Benoît Hamon à Paris, le 11 mai.

L’ex-candidat à la présidentielle demande la démission du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, et se dit «sidéré par le sentiment d’impunité d’un autre temps» d’Emmanuel Macron.

Des mots durs. Sur l’affaire Benalla, Benoît Hamon ne retient pas ses coups et demande le départ du ministre de l’Intérieur dans les «plus brefs délais». Pour l’ancien candidat à la présidentielle, la crise actuelle au sommet de l’Etat doit être utile à la gauche. Elle doit lui permettre de «se retrouver au Parlement mais aussi et surtout avec les citoyens, pour porter la VIe République». Entretien.

Quelle a été votre première réaction lorsque vous avez découvert l’affaire Benalla ?

J’ai été révolté pour les jeunes frappés alors qu’ils n’exerçaient que leur droit de manifester pour une cause juste, l’égalité d’accès à l’enseignement supérieur. Emmanuel Macron passait pour un président jeune et libéral : a-t-il été élu, par des républicains des deux rives d’ailleurs, pour frapper la jeunesse et les libertés ?

Vous avez déjà croisé Alexandre Benalla lorsque vous étiez au PS ?

Oui, quand il était un jeune responsable du service d’ordre du parti socialiste. Jamais je n’aurais imaginé qu’un homme si jeune et si inexpérimenté se voit confier de tels pouvoirs sur la sécurité de l’Elysée et une telle autorité sur des policiers professionnels.

Qu’est ce qui vous surprend le plus dans cette affaire ?

Je suis toujours sidéré par un sentiment d’impunité d’un autre temps : mépris des contre-pouvoirs, mépris du Parlement, mépris de la presse… Les «premiers de cordée» ont l’ivresse des cimes : Macron est ivre de sa puissance à un point dangereux pour les libertés publiques et la stabilité de l’Etat. Beaucoup ont cru à la promesse d’exemplarité, ils voient la réalité de l’impunité. Pourtant, la transparence, l’éthique, l’Etat de droit, l’équilibre des pouvoirs n’ont jamais été aussi importants à défendre qu’aujourd’hui, face aux forces antirépublicaines.

Beaucoup d’observateurs font le lien avec l’affaire Cahuzac sous Hollande. En termes de gravité, vous êtes d’accord ?

Hollande a été dupé par Cahuzac, Macron a couvert Benalla. Cette affaire rappelle l’arrogance, presque pathologique, de François Fillon l’an dernier envers toute demande de transparence. C’est d’ailleurs le même symptôme bonapartiste : dans la Ve République, trop de gouvernants se pensent intouchables. Emmanuel Macron donne trop souvent l’impression qu’il se croit monarque de droit divin. Or cette impunité, ces affaires, ces privilèges minent la démocratie et alimentent les extrêmes. Les monstres populistes et antidémocratiques sont créés par les turpitudes de ces gouvernants qui ensuite s’en alarment : quand on alimente la chronique du «tous pourris», comment s’étonner de la colère du délitement républicain et du dégagisme ?

Selon vous, c’est une affaire d’Etat ?

Oui, ces gens ont commis un mensonge d’Etat en bande organisée. Chacun se demande comment une telle chronologie de délits, dissimulations et fautes a-t-elle été rendue possible au sommet de l’Etat. Nous connaissons tous la réponse. Parce que personne n’a résisté au désir du prince lui-même. Il n’y a pas d’affaire Benalla. Il n’y a qu’une affaire Macron. Le Président lui-même, son secrétaire général, son directeur de cabinet, son ministre de l’Intérieur ont conspiré pour sciemment mentir aux Français. Ils doivent en répondre, le licenciement du lampiste de service ne peut pas servir à exonérer les vrais responsables. Le chef de l’Etat se comporte en chef de bande. En couvrant ses proches, il ne s’est pas comporté en garant des institutions républicaines mais en parrain qui protège son clan. Quelle image pour la République française à l’étranger : un collaborateur direct du Président qui va «casser du jeune» dans les manifestations. C’est aussi désastreux que les images de la guardia civile espagnole allant renverser les urnes en Catalogne.

Votre mouvement vient de mettre une pétition en ligne. Vous demandez la démission de Gérard Collomb, c’est la seule solution pour sortir de la crise ?

Sa démission est un préalable à tout apaisement. Gérard Collomb doit partir dans les plus brefs délais. Dans une grande démocratie, il aurait déjà été démis. Gérard Collomb a déshonoré la police. Il a menti les yeux dans les yeux à la représentation nationale. Il a couvert des faits répréhensibles par la justice. Il a souverainement ignoré l’article 40 qui lui fait légalement l’obligation, à lui et ses collaborateurs, de transmettre au procureur de la république les faits dont ils avaient connaissance. Quelle légitimité conserve-t-il pour faire respecter l’ordre et la loi ? Qui ne voit pas qu’il devient un facteur majeur de désordre ? Il devrait être le premier gardien de la paix, celui qui protège chaque citoyen, à commencer par les plus vulnérables, mais il est l’homme qui frappe les migrants et les lycéens, couvre les nervis de l’Elysée ou laisse agir ceux de Génération identitaire. Gérard Collomb abîme la République. Le ministère de l’Intérieur n’est pas un portefeuille facile. Raison de plus pour y avoir à sa tête un ou une ministre dont l’autorité est respectée de tous. Mais la France de la Ve République et du pouvoir personnel du chef de l’Etat n’est plus qu’une démocratie intermittente. Je l’ai longtemps dénoncé durant la campagne présidentielle. Nous en voyons une nouvelle illustration lamentable.

Quel rôle doit jouer l’opposition, notamment à l’Assemblée et au Sénat ?

J’ai demandé une enquête parlementaire. Néanmoins, je suis lucide : en l’état, la monarchie présidentielle ne peut pas être mise en échec par le Parlement. Donc cet épisode doit servir à autre chose. Toute la gauche doit se retrouver, au Parlement mais aussi et surtout avec les citoyens, pour porter la VIe République. Macron passera, mais si nous ne préparons pas l’alternative, ces mauvaises institutions resteront et l’adhésion quasi consensuelle à la démocratie continuera son effritement. On assiste à un recul historique de la démocratie dans le monde et à une forte pression de ses adversaires. Emmanuel Macron devait être un rempart, il est celui qui abîme la digue à coups de pioche. Nous sommes face à un péril bien plus grand que les affaires qui le nourrissent. Nous devons préparer l’antidote citoyen à cette démocratie malade de ses élites.

Vous êtes surpris par la fragilité du pouvoir qui l’air totalement désorganisé face à la crise ?

Voilà où mène le mirage de l’homme providentiel. Quand l’illusion se dissipe, le pouvoir s’effondre. Je mesure la déception de celles et ceux qui ont crû au mirage du macronisme progressiste. Je comprends leur désarroi car ils sont souvent attachés aux valeurs de liberté et de démocratie piétinées par le pouvoir. Avec ce gouvernement, tout se précarise, y compris nos libertés.

Comment imaginez-vous la suite pour Emmanuel Macron ?

Son attitude dans cette affaire a abîmé la formidable communion des Français après la victoire à la Coupe du monde. Au lieu de célébrer cette réussite, la France doit vivre au rythme des fautes qu’il commet. Son avenir personnel ne m’intéresse pas et il n’écoute de toute façon que son ego. Mais je suis de plus en plus inquiet de l’atmosphère étouffante qu’il impose au pays. Son entêtement princier dans ce scandale est le prolongement de la méfiance instinctive des élites libérales à l’égard des peuples. Il faut en finir avec cette époque dégénérée des gouvernements de «sachants», d’experts et autres techniciens qui abolissent l’esprit critique et martyrisent la démocratie au nom du fait qu’il n’y aurait qu’une seule politique possible : la leur. L’enjeu pour les Français n’est pas de chercher le génie individuel pour remplacer Emmanuel Macron mais de croire à nouveau en notre génie collectif, de faire confiance aux citoyens pour prendre les décisions qui les concernent, de désirer intensément que la démocratie soit partout, jusque dans l’économie et les entreprises.

Rachid Laïreche

Sorgente: Liberation.fr