«J’ai failli ne pas venir ce soir, mais c’était trop important, pour moi comme pour nous.» Au cœur de la foule amassée place de la République – quelques centaines de personnes –, Victoire a du mal à contenir ses émotions. Comme Julia, dont l’agression transphobe filmée le 31 mars à quelques mètres de là a eu l’effet d’un électrochoc, cette habitante de Montataire (Oise) a été insultée par une «meute» dans les rues de sa ville il y a de cela une semaine ; et comme la jeune femme, devenue depuis l’emblème malgré elle des violences quotidiennes dont sont victimes les personnes trans, cette aide-soignante, au tout début de sa transition, souhaite garder la «tête haute». Ce mardi soir, à l’appel des associations Acceptess-T, la Fédération trans et intersexe et Outrans, elle a donc pris son courage à deux mains pour rejoindre le rassemblement organisé à Paris contre la transphobie en présence de Julia et de quelques élus (de gauche) parisiens. «Là où j’habite, la violence que je subis est quotidienne, poursuit la cinquantenaire. Je vis dans l’angoisse permanente de l’agression.»
«Prise de conscience»
Elle n’est pas la seule. Enveloppée dans un drapeau bleu ciel, blanc et rose bonbon (celui de la communauté trans), Pascale, une rose à la main, se remet à peine des images virales de l’agression de Julia. «Cette vidéo, elle a marqué tout le monde, soulève l’intermittente de 26 ans, elle aussi déjà vulgairement alpaguée dans la rue. Mais ce n’est pas ce qui va m’empêcher de sortir dans la rue : c’est en étant solidaire qu’on peut résister.» A dix mètres, Sohan, un jeune mec trans, abonde. «C’est important de montrer notre soutien à Julia car ce n’est pas une agression isolée, souligne le comédien. J’ai un bon passing (le fait d’être perçu dans le genre conforme à son expression de genre, ndlr) donc je n’ai jamais été agressé. Mais il ne faut pas oublier que la transphobie ce sont aussi des violences médicales, administratives, d’avoir à se justifier en permanence et de l’invisibilisation.»
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Ce que les militants parmi les pancartes «Fuck the cis-tem» ou «non à la récupération raciste et islamophobe», comme Jules, co-président d’Outrans, nomment aussi «la transphobie du quotidien». «C’est dommage qu’il ait fallu une vidéo pour qu’il y ait cette prise de conscience alors que des violences physiques et concrètes envers des personnes trans sont perpétrées depuis des années», déplore cet activiste transgenre chevronné. Et ce n’est pas qu’un ressenti : selon l’une des rares enquêtes sur la transphobie, en 2014, les sociologues Arnaud Alessandrin et Karine Espineira estimaient que 85 % des personnes trans sont agressées au moins une fois au cours de leur vie.
«Il ne faut laisser passer aucunes exactions, d’autant plus à l’encontre des personnes trans, plaide d’ailleurs le premier adjoint de la maire de Paris, Emmanuel Grégoire, venu témoigner de sa solidarité à l’occasion rassemblement. «C’est un combat qu’on mène et qu’on va continuer de mener auprès des associations avec notre plan d’action contre les LGBTphobies.» «Je vais continuer à me battre pour toute notre communauté», promet pour sa part Julia, invitée à prendre la parole. Ironie de l’histoire, quelques minutes avant son intervention, un groupe d’hommes sur le côté l’avait de nouveau insultée. Son primo-agresseur a lui été placé en garde à vue, a-t-on appris dans la journée, dans le cadre d’une enquête ouverte le 31 mars par le parquet de Paris pour «violences commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre». Deux plaintes contre X ont entre temps été déposées par la victime et des associations.